Le G.E. DET.(1) à Porquerolles
Catégorie voyage



A l'école des détecteurs...

Catégorie voyage Ma première "vraie" perm. est trop courte (72 heures) mais pleine de joies. Je retrouve mon père "d'avant", celui qui me regardait avec des yeux admiratifs : il est à nouveau fier de son fils ainé! Confiant en mon avenir qu’il voit comme s'il était aussi le sien...
Ma mère plus terre-à-terre constate que je n'ai pas grossi mais que j'ai l'air "en pleine forme". Elle m'interroge beaucoup sur ce que j'ai découvert! Elle a toujours été avide de connaissances. Je ne suis pas son futur, je suis son autre existence.
Ce mardi matin, je quitte à nouveau La Bresse. Si le décor est toujours le même, le p'tit gars qui attend le car n'est plus Uncle; c'est un marin avec son sac et sa valise qui fait signe au chauffeur de s'arrêter. Le bus de la STAHV s'immobilise et repart, il m'emmène avec mes rêves d'océan....
Une nuit plus tard et un bon millier de kilomètre plus au sud, arrivée à Toulon. Je fonce à la gare routière où je dois prendre un bus pour la Tour Fondue(2) au bout de la presqu'île de Giens.
Impossible de se tromper de car: celui que je cherche est un "repaire" de marins, d'officiers mariniers et d'officiers qui pour une raison ou une autre ont eu à faire sur le continent et qui rallient l'Ecole DET...
Aujourd'hui, c'est jour de chance, il n'y a pas de mistral! Aussi c'est une traversée sans encombre à bord de la barcasse(3)qui assure la liaison militaire entre la Tour Fondue et le port de Porquerolles. J'en connaitrai de plus "houleuses" !!!
Les permissionnaires et les permanents gagnent l'école en habitués. Nous les futurs BE ((Brevetés Elémentaires) sommes pris en charge par le bidel (4) et c'est en colonne par deux que nous franchissons pour la première fois la "porte d'honneur" du GE DET.
Enfin, ici, je trouve ce que je suis venu chercher : l'espoir de bientôt courir le monde avec des copains de bordée !(5) Je revis.
. Oublié le CFM; ses sakos bornés et ses séances d’aviron… Bien sûr qu’ils sont toujours là ces gardiens de l’ordre et de la discipline, ces chevaliers du MAS et du PM mais les séances de tir au mas du Langoustier relèvent plus de la partie de campagne que du crapahut(6) Le sport sur le terrain de la Courtade permet souvent, de croiser des civils résidents ou touristes, le pied ! Même la corvée de bailles me semble facile ! Il faut dire que sillonner l’ile, du phare du cap d'Armes au Fort des Mèdes à bord d'un GMC n’a rien de désagréable; surtout au printemps!

la journée type d'Uncle au GE DET:

Il est 7h le clairon sonne le branlebas : encore traumatisé par mon passage au CPER je saute de ma banette(7). Cette rapidité fait beaucoup rire bon nombre d'entre nous, essentiellement ceux qui viennent de l'école des mousses(8), déjà rôdés au rituel de la vie du marin depuis plusieurs années….
Ils me vannent, mais finalement personne ne traine car nous avons seulement trois quart d'heures pour nous laver et prendre le petit déjeuner. Puis c'est en rang et au pas que nous nous rendons sur la "place d'armes" devant le grand mât pour l'appel et les couleurs.. Tous les élèves de l'école sont là, au garde-à-vous.
la cérémonie terminée, la journée commence vraiment avec le poste de lavage (9)(dit aussi de propreté ...). Vers 11h, c'est l'appel des rationnaires(10) et, 1h plus tard, celui du déjeuner qui va mettre fin à notre matinée de cours.
L'après midi après une courte pause, retour aux affaires courantes : les cours....jusqu'à 17 h et là, enfin le dégager.(11). Aussitôt, c’est le rush vers "La Melpomène"(12), où à deux ou trois nous allons « descendre » quelques bières, avant et après le diner, histoire d’attendre paisiblement, 22 h et le « branle-bas du soir ».

Uncle découvre la spécialité de détecteur !!!

Avant d'aller plus loin dans l'aventure, en particulier pour les jeunes générations susceptibles de lire ces lignes, une précision importante : dans les années soixante la base de l'électronique c'est encore la Lampe et le Tube(13) !!!
Il m'est difficile voire impossible, de mémoire, quarante cinq ans après les faits de vous décrire la journée d’un apprenti détecteur, sachez seulement que je retourne à l'école car le GE DET est destiné à inculquer aux béotiens dont je fais partie, toutes les ficelles d'un monde mystérieux: celui du RADAR(14) ... Un univers qui restera mien après mon départ de la Royale, lorsque j'embaucherai à la SINTRA... Mais ceci est une autre histoire.
Le BE ayant pour but essentiel la formation "d'opérateurs radars" six moix durant je vais apprendre à passer le plus clair de mon temps à l’obscurcir (Boris VIAN –l’écume des jours -) en vivant des heures et des heures dans la pénombre d'une salle du "Batiment Y" réplique d'un C.O. (15) (Centre Opérationnel)... En plus grand !
L'apprentissage à Porquerolles est plutôt cool comparé à ce que j'ai enduré au CPER; à preuve cette anecdote :
un jour, un instructeur nous demande la signification du logo CDC fixé sur des consoles d'exploitation radar, et je ne trouve rien de plus original que d'annoncer fièrement :
- Compagnie Dubonnet Cinzano.
Hilarité générale puis silence.
- Par contre il m'importe que cela n'occulte pas votre vision de la réalité. Sachez donc que ces initiales sont celles de la Compagnie Des Compteurs...et souvenez-vous en!!!"
Comment l'oublier puisque ce matériel accompagnera ma vie de marin, dans les C.O. pour être remplacé, ironie du sort,par des appareils "SINTRA"! (bis repetita)
Dans le cadre de notre formation, il nous faut non seulement à identifier les "échos" sur l'écran de l'IPH 4, mais aussi, cramponnez-vous Mesdames et Mesdemoiselles, devenir un bon "plotteur"(16), Eh oui! ici on apprend à plotter; c'est-à-dire marquer au crayon gras la trajectoire des mobiles détectés.
Voilà ce qui va occuper la majeure partie de mon temps.
Mes compétences ne s'arrêteront pas là, car après de nombreuses heures de cours théoriques,la vidéo 4, les triodes, diodes et autres pentodes n'ont, presque, plus de secret pour moi; j’enjambe les méandres de l’électricité grâce au pont de Wheatstone et le transistor(17);, qui va révolutionner l'électronique dans les années à venir; me permet de réaliser en TP, mon premier « trigger de Schmitt »(18)!!! Bref, Uncle « le littéraire » est en passe de devenir un « technicien »!!!
Exploiter des données radar est une chose; assurer la maintenance, parfois la réparation du matériel en est une autre, alors mettons "les mains dans le cambouis" ou plus exactement apprenons à manipuler klystrons et magnétrons, intervenons sur le N32 et le V22, perçons les secrets du guide d'ondes, et ceux de notices souvent en anglais !!!
Rompu aux arcanes de la littérature et de la philosophie, je m'étonne de prendre autant de plaisir à assimiler ce nouveau savoir, et je fais tant et si bien que je vais obtenir, avec brio, "mon brevet élémentaire de Détecteur"... Je suis désormais Uncle PIT, matelot de 1ereclasse breveté "Détecteur"...

Porquerolles et Toulon, mes premières escales !

Le GE DET est sur une île, ce qui le rend plus proche du bateau que de la base à terre, et pour l'apprenti marin que je suis celà fait toute la différence, car sortir de l'école pour aller au village ou rejoindre le continent équivaut à gouter au plaisir de l'escale.

La situation particulière de notre école fait qu'il n'est nul besoin, après le "dégager du soir" et le week-end, si l'on n'est pas de service, d'attendre les permissionnaires pour se rendre au village.La tenue de sortie vérifié par l'officier de garde et le "badge" déposé à l'aubette suffisent pour quitter le bord. Au cours de mes quatre mois d'école, je ne manquerais aucune occasion d'en profiter !
Ici, au village, l’uniforme n’exerce aucun charme sur les autochtones, aussi est-ce plus par jeu que dans l’espoir de conquérir son cœur que je « drague » la fille du patron du Bar Tabac Presse l’Escale le rendez-vous des apprentis paumés…
Le soleil du Midi, généreux en cette fin de printemps, attire les continentaux vers notre petit paradis chaque fin de semaine. C’est donc plein d’espoir que j’arpente la plage d’Argent, en maillot de bain(photo en bas de page) (la baignade étant le seul moment où l’on peut quitter l’uniforme).Las, le manège incessant de trop nombreux jeunes mâles ne fait même pas tourner la tête des donzelles dorées à point. Dur, dur!
Vous comprendrez donc aisément mon désir d'aller « à terre » rapidement, car je n'avais encore jamais eu de "vraie" permission. Aussi après quinze jours de travail assidu, lorsque j'entends le clairon qui sonne "permissionnaires à l'appel", je suis déjà paré, aussi émoustillé qu'une puce à l'approche de son premier suçon.
Avec quelques autres élèves,je vais passer un week-end à "Chicago"(19)
Quelle aventure, mes amis! On est à Toulon, en 1967 et moi Uncle, je ne sais même plus où je suis !
La densité de "pompons rouges" et de casquettes d'OM au m2 est supérieure à celle de n'importe quelle unité de la marine, mais tout est différent : on ne salue plus on apostrophe; on ne parle pas, on éructe. Quant au tangage et au roulis qui nous secouent, ils ne sont pas dus à une mer capricieuse, mais aux vagues de "Kro" qui déferlent dans nos gosiers insatiables.
Où suis-je? Dans quel état j'erre? Je navigue d'un bar à hôtesses à l'autre, et comme il se doit, inévitablement, guidé par quelques anciens rencontrés au détour d'un verre, je fais la connaissance de "Miquette"(20), la légende de "Chicag'".
Elle, que des générations de matafs appellent gentiment "la reine de la quéquette",(pas besoin de dessin !), a pour moi un mot agréable comme celui qu'elle a eu et qu'elle aura encore, pour des milliers de "bleus bites"(21) de passage; même s'ils ne s'arrêtent pas pour "bénéficier de ses services"!...
Ce dimanche matin, après ma première nuit de "piste", je suis assis avec quelques "survivants" dans un rade qui vient de lever son rideau de fer alors que les néons se sont éteints et que les "gagneuses" ont déserté le trottoir. L'esprit embrumé, mais l'allure décidée, j'attends le départ du bus vers la Tour Fondue, et un peu de nostalgie me gagne en me remémorant l'Uncle qui, il y a moins d'un mois, était dans cette même attente !!! Une éternité et un monde me séparent désormais de lui.
Le ronronnement du moteur du bus, puis le léger roulis de la barcasse me mettent dans d'excellentes dispositions pour préparerer le sommeil réparateur dans lequel je vais plonger de retour à l'école... Je ne rêve plus, cette fois ci j'en suis sûr: après cette "épopée" je suis devenu un vrai marin!!! Et, béat, je m'endors sans me préoccuper du temps qui passe : je suis permissionnaire jusqu'à l'appel de lundi matin!!!

Uncle quitte le bord...

Le maniement de "la carotte et du bâton" est un exercice auquel sont rompues les hiérarchies (quelles qu'elles soient !), la Marine n’échappant pas à cette règle, je vais vous expliquer comment elle m’a poussé à me surpasser ! L’école DET, comme toutes les institutions dédiées à l’apprentissage, se doit de faire des contrôles périodiques de connaissances: des interros quoi !
Durant cette formation, nous sommes notés tous azimuts : comportement général, militaire, maritime. Nous sommes notés aussi sur les cours théoriques, le dépannage, les travaux pratiques etc… d'une part pour vérifier nos aptitudes , mais surtout pour établir une hiérarchie, un classement... C'est là que le piège se referme !
Le bâton, vous l’avez compris, c’est la note. la carotte , c’est l'affectation de sortie; c'est-à-dire l'endroit (base à terre, dépôt, navire...) vers lequel chacun d'entre nous va être dirigé à la fin du cours.
Durant les sept premiers mois de ma nouvelle vie j’ai côtoyé pas mal de gars qui ont bourlingué, donc je sais très précisément que si je veux assouvir ma frénésie de grand large, le « must », est une affectation sur la « Jeanne »(22).
Mais, me direz- vous, qui décide de cette affectation ? C'est tout simplement le classement de l'apprenti! Sachant que le Major de promotion a tout le champ pour lui alors que le dernier n'a aucune alternative, vous saisissez pourquoi Uncle et ses rêves de voyages ont cravachés pour l'emporter!!! Objectif atteint,, je suis « premier d’la classe ». Ca, c’est fait ! Mais, la Jeanne sera-t-elle au rendez- vous ?
La liste des affectations n’est pas encore arrivée, les supputations vont bon train… En fin d’après-midi elle tombe enfin ! La scène qui se déroule alors ressemble à s’y méprendre à celle que j’ai vécu un an plus tôt avec l’affichage des résultats du bac…; les pleurs et la déception en moins. Cette fois-ci, c'est tout bon pour moi car La Jeanne d’Arc figure parmi les affectations possibles.
La cérémonie officielle du lendemain, présidée par le capitaine de compagnie, n’a pour moi rien de comparable avec « la Chambre » à Hourtin et lorsqu’après l’appel de mon nom, j’entends : Pit, quelle affectation choisissez- vous ? C’est d’une voix ferme et assurée que je réponds : Jeanne d’arc, Capitaine !
J'ai un grade(23), une spécialité et une affectation, Les dés sont jetés…


Les copains du bord !!!

L'embarquement sur "la Jeanne" est "limité" à deux campagnes pour les matelots et les quartiers-maitres... Cela signifie que deux ans durant, je vais partager la vie des autres détecteurs du bord, 24 heures sur 24 lorsque nous serons en mer, un peu moins lorsque nous ferons escale.
Ce laps de temps relativement long permet de créer des liens et donc d'avoir des camarades et même des amis ... Afin de respecter leur anonymat, ce sont par leurs prénoms (réels ou imaginaires) qu'ils apparaitront dans les pages qui vont suivre....